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LE FRANÇAIS

et qu’il n’exhibait que dans les grandes occasions. On voyait aussi un jeune homme, gros et court, le buste enveloppé d’un chandail en grosse laine rouge, la tête couverte d’une casquette à carreaux blancs et noirs et les mains profondément enfoncées dans les poches d’un pantalon de bouracan. Son teint, très brun, disait les étés passés dans l’air des bois. C’était un gas de Ville-Marie qui travaillait aux moulins de la Riordon Co., à Kipawa, et qui s’en allait faire une « saucette » au village, histoire de voir la blonde. Il y avait aussi un grand brun et sec, vêtu d’un complet gris, de coupe relativement cossue, la tête couverte d’un « panama » à bosselages impeccables, la poitrine barrée d’une grosse chaîne de montre en cuivre jaune formant sur le veston, d’un côté à l’autre de la veste, deux croissants en longueur, avec, au milieu, un large médaillon-breloque. Il portait des bottines de cuir rouge et fumait un gros cigare pourvu encore de sa bague de papier rouge et doré et qu’il pressait, après chaque bouffée, entre le pouce et l’index ; il tirait la fumée en avançant la tête à coups brusques. C’était un marchand de Guigues qui avait été faire des affaires à Montréal.

Ces hommes écoutaient parler un cinquième personnage très intéressant. Depuis le départ de Kipawa, il avait attiré l’attention de tous les passagers de l’« Outaouais ». Il portait le costume des Frères de l’Ordre des Oblats de Marie : ample soutane ceinturée d’une bande de calicot avec, autour du cou, un rabat bordé d’une nervure blanche. La ceinture soutenait sur la poitrine un grand crucifix de bois noir avec Christ en