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LE FRANÇAIS

passer à travers les rochers et les arbres, je conduisais mes bêtes sur la glace du lac. Celle-ci enfonçait sous les pas de mes vaches. Il fallait faire des bouts à la nage, puis grimper sur des banquises. Je perdis dans l’eau mes provisions et celles de mes bêtes…

Un jour, mes pauvres enfants, je me sentis parvenu aux dernières limites des forces humaines. Je n’avais pas mangé depuis vingt-quatre heures et mes bêtes non plus. Nous cheminions tantôt sur des banquises et tantôt nous nous jetions à la nage dans l’eau claire autour de nous. Aucun moyen de gagner terre à cause des rochers abrupts qui formaient les rives du lac… Tenez, c’est pas bien loin d’ici, en avant de nous ; c’est comme une « passe »… Mes pauvres bêtes ne pouvaient pas escalader ces « écores », vous pensez bien. La nuit nous avait pris tout à fait et je ne voyais pas deux pas en avant de moi. Les vaches s’arrêtaient quelquefois et beuglaient d’épouvante, de faim et de froid, et mon cœur éclatait devant les souffrances de ces pauvres bêtes innocentes qui ne savaient pas pourquoi on les faisait tant souffrir… À un moment, je m’aperçus que nous étions sur une banquise qui pouvait à peine nous porter. L’eau nous entourait. J’étais au milieu de mes vaches qui tremblaient avec de grands frissons et qui meuglaient. Je me pris à pleurer comme un enfant, caressant chacune de mes bêtes en lui demandant pardon… Où étions-nous ?… Je n’en savais rien. La tempête mugissait autour de notre glaçon et il faisait noir à faire peur. Je sentis que c’était la fin. Je me couchai au milieu de mon