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LE FRANÇAIS

miers qui sont venus se tailler une terre dans les nouveaux cantons du Témiscamingue, est arrivé au fond de la baie comme j’y étais venu moi-même, un peu auparavant, dans un vieux chaland ?… Toi, tu étais alors pas plus haut qu’un de mes petits sauvages… Et maintenant, ta terre est toute faite… Ah ! ces terres là, ces bonnes terres de Ville-Marie, de Guigues, de Lorrainville, de Fabre, gardez-les, gardez-les bien, mes enfants ; elles sont bien à vous ! Trop de sacrifices faits par vos parents les ont payées. Gardez leur âme où s’incarne celle de vos pères !… Je vous le dis, mes enfants, ne permettez pas aux étrangers de s’emparer de vos terres !…

« C’est épouvantable !… crièrent plusieurs voix.

Un homme s’exclama accourant vers le groupe où se trouvait le Frère :

« On dirait tout le Témiscamingue en feu ! »

L’« Outaouais » filait depuis quelque temps à une allure vertigineuse. Il venait de doubler un côteau boisé offrant des saillies brusques de bois épais percés de mamelons crevassés et, tout à coup, apparut à l’avant, tout près, la Pointe-de-la-Mission. On eut dit que le bateau allait en frapper l’extrémité comme, autrefois, la banquise du Frère Moffet. Mais il la doubla gracieusement, d’une courbe habile que lui fit décrire le capitaine qui était à la roue. Au passage, l’on entrevit, au milieu de la pointe, une modeste maison de bois blanchie à la chaux, quelques minimes dépendances à demi en ruines, un jardin couvert de plantain et de touffes d’herbes Saint-Jean, un petit cimetière parsemé