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LE FRANÇAIS

Tout à coup, l’on entendit dans l’air sinistre, la cloche de l’église de Ville-Marie sonner les notes du tocsin. Ce fut comme l’appel du clairon rassemblant les soldats pour la bataille. Déjà le monstre apparaissait de la lisière du bois et il fallait le détourner de sa marche sur le village. Il n’avait plus, avant de parvenir aux premières maisons, qu’à traverser la pièce de terre neuve où venait de mourir le petit orignal, et qui était toute parsemée de tas d’abatis, puis, un champ d’avoine de trois arpents de largeur, toutes proies faciles.

Aux derniers appels du tocsin, le feu était arrivé à la lisière du bois où, un moment, il parut hésiter. Accoutumé à dévorer les masses compactes des résineux touffus et les opaques frondaisons du bois vert, va-t-il s’abaisser à mordre la misérable bordure de brindilles et de « ferdoches » qui rampe au pied de la forêt, pour se transformer ensuite, dans la pièce de terre neuve, en un vulgaire feu d’abatis ?… Mais le monstre rouge voit à cinq ou six arpents seulement la masse imposante du village, proie alléchante et si facile à dévorer. Il n’a pour y parvenir qu’à engloutir, au passage, ces quelques tas de branchages, et à lécher ce petit champ d’avoine en quelques tours de sa grosse langue rouge… Il n’hésite plus. Pendant l’instant qu’il a réfléchi, il n’a pas cessé de travailler et de gronder. Tournant sur lui-même, pendant quelques instants, il continuait d’accomplir son œuvre de mort, avec régularité, mais avec un peu plus de calme, comme une sorte de majestueuse sérénité. Il a pris un