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LE FRANÇAIS

C’est une chanson dont, malheureusement, l’on se lasse ; et les regards, les espérances et les désirs se tournent vers les villes, et les cerveaux campagnards s’échauffent de rêves et de chimères. Et les ambitieux, les naïfs, accourent, tourbillonnant, ainsi que des papillons nocturnes, autour de la fournaise… Oh ! alors, l’inquiétante procession qui s’achemine dans un bruit de rires… Après l’émigration, ce sont des lettres qui arrivent au village, disant aux vieux, en phrases naïves, l’ultime désespérance des déshérités parmi la joie des triomphants… Les jours succèdent aux jours dans la crispante recherche de la besogne espérée et qui fuit toujours. Les triomphants, qui sont restés pitoyables et fraternels, savent l’angoisse de se sentir impuissants à prévenir le drame d’une existence humaine qui s’enlise dans l’infortune. Mais avant d’avoir eu la sensation effrayante du pied qui manque, quelques poursuiveurs de la chimère ont eu celle de gravir la pente qui mène à la fortune et ils ont vu, au-dessus de leur tête, un ciel lumineux… Hélas ! la pente est glissante et, tout à coup, c’est l’épouvantable cabriole dans le vide… Ah ! s’en aller dans les villes, y faire sa place, y triompher, voilà le rêve que bercent les nuits sur lesquelles veillent les clochers des villages… Dans ces rêves, l’on ne veut penser qu’à ceux qui ont triomphé ; l’on oublie les épaves qui flottent ballotées par la houle. Combien aujourd’hui qui sont sur cet océan regrettent les douceurs du crépuscule qui dore les rues étroites où l’herbe pousse dans les roulières ?…