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LE FRANÇAIS

couleurs ; les terres semblent doucement sommeiller, comme fatiguées, dans la tiédeur de ce jour blond.

Après quelques minutes de silence, Jean-Baptiste Morel, allumant sa pipe, se lamenta :

« T’as d’là chance, toi, André, tu peux pas nier, t’as d’là chance ! »

Derechef, le père de Marguerite se replongea dans ses éternelles idées noires. On eut dit que le bonheur de son ami le rendait jaloux et, comme toujours, devant une contrariété, il faiblissait, il perdait son équilibre. Il était de ceux qui ne luttent pas. L’habitude qu’il avait prise de chercher sans cesse à se convaincre que les inquiétudes, les tracas et les contrariétés constituaient son lot, à lui, avait imprimé à son caractère comme un pli de passivité. Sans cesse rongé par le constant souci de l’avenir de sa terre, il cherchait à se convaincre que ce qui lui arrivait de désagréable portait atteinte à sa terre, et il se refusait à l’idée de penser qu’elle pourrait être inférieure aux autres.

Mais voilà que tout à coup, il sentit comme un rayon lumineux percer, en son âme inquiète et mobile, le sombre nuage qui l’enveloppait. La joie d’André Duval à lui apprendre les nouvelles dispositions de Jacques se communiqua subitement à lui. Par un prodige de transformation imaginaire que sait accomplir l’ambition de voir atteindre à la perfection l’objet d’un culte passionné, il se vit, lui aussi, à la tête d’un beau bien, l’un des plus riches de la paroisse, et cela par la seule vertu du travail des deux bras d’un gendre de la bonne lignée des habitants bas-canadiens. De cette façon, il