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LE FRANÇAIS

prise, des lèvres de Jean-Baptiste Morel qui lui faisait en ce moment penser à ces conférenciers venus souvent dans la salle publique du village développer des sujets d’économie sociale et politique dont l’abstraction le fit souvent bailler aussi fort que ses voisins. Aussi, eut-il instinctivement garde de trop s’appesantir sur ce sujet difficile appris par son ami. Il crut devoir répondre de façon plus concrète. Après une minute de silence pendant laquelle, d’un pouce expert, il refoula au fond de sa pipe la cendre grise du tabac qui ne boucanait plus, il dit en allumant ce fond juteux de cendre :

C’est pas possible c’que tu m’dis par rapport à Marguerite et à ton Français ! Ta fille n’est pas sérieuse, c’est sûr. Elle aime mieux ton engagé que Jacques, voyons là ! Tu penses pas laisser faire ça, toi, Jean-Baptiste Morel, hein ? Ces étrangers, tu l’sais comme je l’sais, il faut s’en défier terriblement ; c’est des enjôleurs. Ils viennent chez nous pour devenir riches, au plus coupant et ça, à nos dépens, naturellement. Ils voudraient bien prendre d’un tour de main tout c’qu’on a. Aussitôt, qu’ils sont arrivés par ici, ils veulent prendre not’place… Ah ! je n’dis pas, il y en a qui sont des bons garçons, comme ton engagé, par exemple ; mais c’est p’t’être à ceux-là qu’il faut prendre garde, j’pense, à cause qu’on s’en défie pas assez. Ils veulent nous faire accroire qu’ils ont toutes les qualités, mais c’est pour la « frime », ça, tu sais. C’est à nous autres de pas nous laisser enjôler. Tu sais c’qu’on lit dans les gazettes, des fois ; le Canada aux Canadiens… C’est vrai, j’suis pour ça, moi ! et