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LE FRANÇAIS

Les deux amis hâtèrent le pas et ne parlèrent plus.

Au-dessus de toute la vaste campagne, s’étendait un beau ciel bleu, pommelé, çà et là, de quelques petits nuages blancs, floconneux. Les terres développaient leurs perspectives blondes des deux côtés du chemin du Roi. Dans les pacages encore demi-verts, les bêtes, jouissant des dernières libertés de la saison, paissaient, le museau collé au sol, immobiles dans le paysage. Leurs grands corps se dessinaient avec netteté, au loin, dans la limpidité de l’air comme fraîchement passé au bleu…

Vers cinq heures, Jean-Baptiste Morel, juché sur son voyage de planches humides et qui sentaient bon l’épinette fraîchement sciée, retournait à la maison au pas tranquille et dolent de Blond lesté et bien reposé. Tout en marchant, il s’était senti tout à coup soulevé par l’émotion au rappel des paroles d’André. Seul, il ne pouvait traduire ses sentiments que par les regards attendris qu’il jetait aux terres, le long de la route. Ce qu’il apercevait, aux dernières clartés du jour, lui paraissait frais, calme et sain, comme il se sentait lui-même à ce moment. Les toits des maisons qui bordaient la route et que doraient les derniers rayons du soleil couchant, les contours capricieux ou la ligne droite des clôtures qui cheminaient dans la brunante, les dépendances des fermes qui se dessinaient en vifs reliefs sur la teinte d’ombre des champs, les quelques rares passants qu’il rencontrait sur la route et qui le saluaient d’un silencieux signe de tête, levant la main vers leur chapeau, la verdure encore sombre des arbres