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LE FRANÇAIS

les hommes qui venaient de vaquer au train du matin aux étables, battaient vigoureusement leurs bottes cloutées pour en secouer la neige mêlée au fumier, et le bruit qu’ils faisaient s’entendait de voisin à voisin. Les chiens aboyant aux cris des petits glisseurs semblaient avoir pris dans cet atmosphère ouaté un ton de voix qu’on ne leur connaissait pas.

Tout à coup, une clameur retentit au-dessus du village à demi éveillé. C’était des cris prolongés qui n’avaient rien d’humain et que l’écho assourdi rendait plus effroyables encore. Les chiens hurlaient comme à la mort qui passe ; des voix s’interpellaient dans les rues du village et des portes claquaient qui jetaient sur les seuils des femmes en cheveux ; les petits glisseurs, s’arrêtant dans leur course désordonnée, avaient saisi leur traîneau par la corde et couraient, jambes au cou, du côté ouest du village d’où était partie la clameur. Les cris cependant allaient en s’affaiblissant et bientôt s’éteignirent. Le village était tout à fait réveillé.

Du seuil d’une maison près du quai, une ménagère cria à sa voisine qui, la tête passée à travers la porte entrebâillée, interrogeait curieusement l’espace :

« C’est chez Camille Gagnon, vous savez, qu’on fait boucherie !… »

Les premières bordées de neige sont, dans les campagnes bas-canadiennes, le signal des boucheries. Les boucheries d’automne sont des événements considérables. Dans certaines campagnes de France, c’est la « fête du cochon » ou la « pelle-porc » ; au pays de Québec, c’est la boucherie tout simplement. Aux pre-