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LE FRANÇAIS

Enfin, comme l’on avait parcouru tout le cercle et que n’avaient pas chanté seulement ceux et celles qui avaient longtemps et obstinément déclaré être affligés d’un gros rhume, Jacques Duval, jamais à court de ressources dans ces occasions, proposa une chanson par le père Moïse. Ce fut dans toute la maison une cascade de cris d’approbation et, dans la cuisine, l’on abandonna même la partie de pommes pour venir écouter, à la porte, pendant que madame Gagnon annonçait une autre tournée de vin pour après la chanson de grand-père… Vrai, toutes ces jeunesses n’étaient pas pour intimider le père Moïse Gagnon qui en avait vu bien d’autres ; aussi, ne se fit-il pas plus prier que Jacques Duval lui-même. Seulement, il annonça qu’il n’avait pas besoin de l’harmonium qui le ferait tromper, disait-il. Dans son temps, crut-il devoir expliquer, l’on ne connaissait pas ces grosses musiques que l’on voyait seulement dans les grandes églises. Les chanteux les plus capricieux se faisaient accompagner par l’accordéon ou bien par le violon si le violonneux était capable de faire marcher son archet assez doucement. Et le père Moïse, toujours enfoncé dans sa berceuse usagée, gai comme un robinet ouvert, d’une voix cassante, mangeant les mots difficiles à cause de l’absence de ses dents, chanta en marquant d’un pied la cadence :

J’ai fait une maîtresse, y a pas longtemps
J’irai la voir dimanche, dimanche j’irai ;
Je ferai la demande à ma bien-aimée.

Ah ! si tu viens dimanche, j’n’y serai pas ;
Je me mettrai biche dans un beau champ
De moi tu n’auras pas de contentement.