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LE FRANÇAIS

Charles Castonguay haletait bruyamment, Jacques Duval geignait, tous deux, penchés en avant sur leurs raquettes devenues lourdes comme des boulets de forçat et dont les babiches couvertes de glaçons leur causaient à la naissance des orteils qu’elles entouraient, des souffrances à crier à chaque pas. Dans la figure, à chaque coup de la poudrerie, c’était une douleur brutale, sorte de piqûre dans laquelle entrait le froid pour se répandre dans le sang et le glacer davantage. De temps en temps, les deux malheureux saisissaient à la volée une poignée de neige avec laquelle ils se frictionnaient avec énergie les joues afin de faire circuler le sang qui gelait.

À la brunante, vers quatre heures, la poudrerie devint une véritable furie de cyclone. D’épaisses trombes de neige montaient en tire-bouchons, semblant se poursuivre vers les quatre points cardinaux à la fois. Puis, ce fut bientôt presque la nuit noire. La situation n’était plus tenable. Les deux malheureux jeunes gens, sentant s’en aller leurs forces, pensèrent à la mort horrible qui les tenait, et se recommandèrent à Dieu… Tout à coup, Charles Castonguay poussa dans la nuit et dans la mitraille des flocons de neige glacée lancés avec fureur, un cri rauque :

« Jacques… on va s’écarter !… »

Mais Jacques Duval, d’une voix étranglée, hurla aussitôt, plutôt qu’il ne cria :

« Là !… en avant !… du noir !… »

En effet, une masse d’ombre flottait au sein des tourbillons de neige. C’était le bois…