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LE FRANÇAIS

guissamment sur le sol dénudé et boueux ; hier encore, tout était sale et laid dans les champs dévastés ; les arbres, tant loin que la vue pouvait porter, élevaient péniblement vers des nuages de plomb chargés de froidure, leurs fagots de branches noires. Aujourd’hui, que tout est changé ! Sous l’influence du soleil qui se promène aux cieux trop longtemps attristés par son absence et qui, plein d’ardeur, envoie des hauteurs ses effluves vivifiants, la terre, pauvre abandonnée, laisse partout dérouler mollement les plis de sa belle robe verte…

« Comme c’est beau, mon Dieu, comme c’est beau ! » s’écria Marguerite, grisée, pâmée par cette volupté qui se dégageait des champs et l’enveloppait toute… « Sens-tu l’herbe, Jacques, sens-tu les bourgeons ? Que cela sent bon !… »

« Oui, oui, on dirait du « Mary Garden », du trèfle incarnat », répondit Jacques plaisamment… « C’est dommage qu’il y ait pas seulement à la regarder, à l’admirer, à la sentir, la terre ; m’est avis qu’elle nous fait payer cher son parfum… »

« Jacques », demanda soudain Marguerite, se plantant droite et fière, au milieu de la route… « Tu ne l’aimes donc pas plus que tu ne l’aimais, la terre ?… »

Le jeune homme, à cette question subite, franche, nette, qui provoquait une réponse dont il n’était pas sans entrevoir les conséquences pour lui, resta, un instant, silencieux. Il se pencha sur le rebord du chemin et arracha une mince tige séchée d’armoise dont il se battit les jambes pendant quelques secondes. Marguerite s’était remise à marcher et Jacques la suivit tout en