Page:Pouchkine - Eugène Onéguine, trad. Paul Béesau, 1868.djvu/50

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je m’habituai à ses âcres récriminations, à ses plaisanteries pleines de fiel, à ses épigrammes violentes et emportées.


Que de fois pendant l’été, lorsqu’une nuit sereine étendait la transparence de son ciel au-dessus de la Néva, et que les eaux du fleuve ne reflétaient pas le visage de Diane dans leur large miroir glacé, que de fois, évoquant le souvenir des amitiés et des amours passées, redevenant sensibles et jeunes, nous nous enivrions en silence des doux soupirs de la nuit !…

Comme le prisonnier, transporté pendant son sommeil hors de son obscur cachot, se réveille dans un bois verdoyant, ainsi nous étions transportés par nos rêves au joyeux matin de notre vie !


L’âme remplie d’émotion, Eugène tout pensif s’appuyait sur la margelle de granit, ainsi qu’on se plaît à représenter le poète. Tout était tranquille : le cri de veille des sentinelles, le bruit lointain d’un drochki courant sur le pavé de la rue Millionne, la rame d’un bateau glissant sur les eaux dormantes, le son du cor, une chanson joyeuse, frappaient seuls notre oreille. Mais bien