Page:Pouchkine - Eugène Onéguine, trad. Paul Béesau, 1868.djvu/74

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Mais on la conduisit à l’église sans lui demander son avis. Qu’arriva-t-il ? Pour dissiper son chagrin, son mari, en homme prudent et sage, partit avec elle pour ses terres. D’abord elle se roidit contre sa destinée, se répandit en plaintes et en larmes, et faillit laisser là son mari. Cependant elle finit par s’occuper de son ménage et par s’habituer à sa position. Le calme et le contentement revinrent : l’habitude[1] nous a été donnée par le ciel pour nous tenir lieu de bonheur.


L’habitude eut donc la puissance d’adoucir un chagrin qui résistait à tout. Bientôt une grande découverte consola entièrement la jeune femme. Au milieu de ses travaux et de ses loisirs, elle apprit le secret d’exercer sur son mari un empire absolu. — À partir de ce moment tout alla bien ; elle surveillait les travaux, salait les champignons pour l’hiver, tenait les comptes, coupait les cheveux des domestiques, allait au bain tous les samedis[2], se mettait en colère, battait les servantes, tout cela sans demander permission à personne.

  1. « Si j’avais la folie de croire encore au bonheur, je le chercherais dans l’habitude. » (Chateaubriand.)
  2. Le peuple ne manque jamais le bain du samedi.