Page:Pouchkine - Eugène Onéguine, trad. Paul Béesau, 1868.djvu/92

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sa vanité par l’espoir de la réussite, puis nous tourmenterons son cœur en y jetant un doute, et enfin nous exciterons sa flamme en le rendant jaloux. Si nous n’agissons de la sorte, le premier homme venu, à peine captivé par nos charmes, rassasié de jouissance, brisera sa chaîne.


Mais j’entrevois encore une difficulté ; pour sauver l’honneur de mon pays, je devrais traduire la lettre de Tatiana, car elle savait mal le russe, ne lisait jamais nos journaux et s’exprimait très-difficilement dans cette langue ; en un mot, elle écrivait en français ! Que faire ?… Jusqu’à présent les dames n’ont jamais parlé d’amour en russe ; jusqu’à présent, notre langue orgueilleuse ne s’est point pliée au style épistolaire.


Je sais qu’on veut forcer les dames à lire le russe ; — vraiment je m’effraie de cette audace[1], et ne pourrai jamais me figurer une femme du monde tenant entre ses mains le Bien-Intentionné[2]. — Je vous prends à témoin, jeunes poètes, n’est-il pas

  1. Le temps est bien changé ; depuis quelques années, les dames russes affectent au contraire de ne parler que leur langue.
  2. Titre d’un journal du temps, écrit en russe.