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sept heures, sept heures un quart au plus, car on est matinal en province, même dans la banlieue de Paris, et les jeunes lieutenants et sous-lieutenants, après avoir salué respectueusement le colonel, le capitaine et le maire-adjoint, allaient lentement à la popote, au mess, par petits groupes rêveurs.

Au bout d’un mois, ils ne pouvaient plus dormir ; les trois phrases célèbres : 1o Il vaut mieux ce temps-là que s’il n’en faisait pas du tout ; — 2o Quand on ne peut plus plaire par la tête on plaît par les pieds ; 3o Qui abonde ne vicie pas leur trottaient dans la tête nuit et jour, comme une obsession. Au bout de deux mois, les plus malins et les plus pistonnés se faisaient changer de garnison. Au bout de trois mois, ceux qui étaient restés étaient atteints de gâtisme anticipé, d’ataxie automobile, de folie furieuse, ou du délire de la persécution.

Les garçons de café devenaient étiques, parfois enragés, et tous les six mois, les patrons eux-mêmes finissaient hypocondres…

Depuis, ces trois ganaches ont disparu mais ça n’empêche que c’est de ce moment là que l’on a été obligé d’agrandir l’asile départemental d’aliénés qui est encore si bien installé à l’heure présente…

Et maintenant, si vous me demandez pourquoi j’ai écrit cette histoire archi-véridique et l’expression même de la plus scrupuleuse exactitude, je vous répondrai tout uniment que c’était pour fournir un joli sujet de monologue à Galipaux !