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Ça ne fait rien, quand on fréquente, comme moi, le jardin de la Bourse, en qualité de journaliste financier, depuis la guerre, c’est-à-dire depuis tantôt trente-sept ans, on ne peut pas passer devant ce dernier témoin des temps écoulés sans une certaine émotion. Involontairement on le salue comme un vieux camarade ! Il connaît tout l’annuaire financier, depuis trois générations au moins, toutes les vieilles tripoteuses du marché des pieds humides, tous les petits télégraphistes en vadrouille, tous les levantins à la recherche d’une poire et, toutes les midinettes à la recherche d’un chopin !

Il a vu fleurir à ses pieds, sur les soubassements, toutes les affiches multicolores du général Boulanger et autres candidats fumistes, et il a ombragé les pauvres vieux camelots marchands de crayons et les nourrices avec leurs gosses soiffards attablés à leur joli comptoir de chair humaine !

Il en a vu bien d’autres, le marronnier du jardin de la Bourse, et par les plus beaux dimanches d’été, il a même eu, devant lui, sur la place de la Bourse, la vision torride et silencieuse du désert du Sahara !

Voilà pourquoi je l’aime ce marronnier et pourquoi, avec un peu de protection, je demanderai à Dujardin-Beaumetz de me nommer, sur mes vieux jours, jardinier en chef du jardin de la Bourse !

Un si joli métier et si facile !