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le garde-voie

devant une table non servie. Mais elle était toujours la première et dès qu’elle avait franchi le seuil de sa demeure l’oppression de sa vie nouvelle vis-à-vis de Jérôme lui écrasait le cœur. Elle attendait le retour du garde, l’esprit torturé d’appréhension.

Jérôme gardait avec elle un silence obstiné. Il mangeait les repas qu’elle lui préparait sans prononcer une parole puis, sans lever les yeux, il s’en allait.

Catherine avait en vain essayé de lui arracher le récit de son entrevue avec son fils. Il avait coupé court à son questionnaire d’un ton bref :

— Plus tard.

Une autre fois, elle lui avait offert en tremblant de le quitter, mais sans la regarder ni prendre le temps de réfléchir, il avait refusé d’un mot :

— Non, tu resteras ici.

Depuis ce moment, elle était la servante de son bon plaisir, l’esclave de toutes ses volontés. Il rentrait tard le soir, il sortait tôt le matin, et dès qu’il avait disparu, Catherine pleurait avec des frissons de dégoût qu’elle ne pouvait pas réprimer. Pourtant, malgré ses révoltes douloureuses, elle continuait de l’aimer. Son cœur battait encore à son approche, mais autrement qu’autrefois. L’attente joyeuse et impatiente des jours heureux avait fait place à une anticipation soucieuse et craintive. L’humiliant souci de sa jeunesse lui était revenu : l’opprobre d’une faute qu’elle n’avait pas commise l’enveloppait de nouveau de toute part, d’un réseau étroit, inextricable. Comme autrefois, elle cé-