Page:Pradez - Les Ignorés.djvu/193

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
187
thérèse

— Trente-six ans depuis hier.

Par réminiscence des temps de l’école où on se levait ainsi à l’appel du maître. Pierre se dressa. C’était un homme blond, grand, aux membres forts. La bataille journalière livrée à la terre pour la contraindre à l’obéissance avait donné à ce laboureur, la vigueur massive ordinaire aux ouvriers des champs : l’empreinte de sa vie d’effort et de fatigue se retrouvait partout dans sa personne.

Il regardait sans sourciller ni blêmir le président, noir et correct qui l’avait interrogé, et tout ce qui depuis un an travaillait sourdement son âme silencieuse y bouillonnait tout à coup avec un vacarme étourdissant.

Il y eut une pause, un silence d’attente. Rapidement un des magistrats feuilletait un dossier de paperasses posé sur le pupitre devant lui, et pour la première fois depuis l’ouverture de l’audience, le mari de Thérèse avait détourné sa figure laide et chafouine. Son sourire de triomphe semblait tempéré par une mystérieuse appréhension.

La crainte :  ?… Non. Quelque chose d’autre de plus intime, de plus subtil, qui pâlissait, légèrement les pommettes saillantes.

Quand le magistrat releva la tête, il fixa sur Pierre un regard rapide où, l’habitude de juger un homme en bloc mettait quelque chose d’incisif, d’aigu.

— Vous avez demandé à témoigner dans cette affaire. Qu’avez-vous à dire ? Parlez.