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les ignorés

— Allons, voyons, un peu de courage. Dès que le brouillard sera levé, ça ira mieux.

Accompagné de Jean, il s’achemina vers le seuil, et, comme avant d’ouvrir la porte, les deux hommes se serraient la main, une pitié monta au cœur du docteur.

Il y avait deux ans à peine, il avait lutté jour et nuit pour disputer à la tombe ce grand garçon aujourd’hui robuste ; il l’avait arraché à la mort presque de force ; mais en lui abandonnant sa victime, sa puissante adversaire, s’était vengée. Au sortir de son long typhus aggravé de rechutes dangereuses, de complications sans cesse renaissantes, Jean était resté sourd. Il n’entendait plus les mille voix de la nature, ni les cris des animaux, ni le chant des oiseaux, ni le souffle du vent, ni l’appel de sa mère, rien ! Et chaque fois que le docteur se trouvait face à face avec cet être qu’il avait presque miraculeusement conservé à l’existence, il avait un vague regret de son œuvre. Avait-il bien fait de préserver, au prix de tant d’efforts, ce lambeau de vie décolorée ?

Il fit un cornet de ses deux mains, en ayant soin de ne pas cacher le mouvement de ses lèvres, et il cria :

— Cela va bien, Jean ?

Les yeux du jeune homme brillèrent. Il avait parfaitement compris les paroles du docteur ; chaque fois que cela lui arrivait de saisir sans effort ce qu’on lui disait, il avait une joie intérieure, une sorte de fierté délicieuse.