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les ignorés

l’examen médical, à côté de son angoisse ordinaire, elle en sentit se dresser une autre, plus effrayante que l’ancienne.

À peine le chirurgien, à l’air bourru, eut-il jeté les yeux sur elle, qu’il murmura :

— Oh ! oh ! ce sera pour demain matin.

À cette exclamation, toutes les questions brûlantes que Micheline avait préparées lui retombèrent sur le cœur. Les lèvres tremblantes, elle articula péniblement :

— Est-ce que c’est dangereux, ce mal ?

Un non bref, impatient, le non d’un homme pressé, habitué à couper court à toute explication par ce monosyllabe indiscutable, lui ferma la bouche. On l’avait emmenée à la hâte, tandis que dans la chambre étouffante du docteur le long cortège des misérables se continuait

L’idée de la mort, l’épouvante de la mort s’était emparée d’elle avec une telle violence qu’elle passa toute la longue journée sans pouvoir rien avaler et l’interminable nuit sans réussir à s’endormir une seconde.

Auprès de la possibilité de mourir, la pensée de sa beauté détruite la laissait tout à coup presque indifférente. Elle découvrait mille autres raisons de vivre qui jusque-là lui avaient paru sans valeur. Comme si, au premier contact d’une douleur vraie, le faux clinquant de son existence passée tombait en poussière et qu’aussitôt d’autres germes de vie sortissent de