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posa sur moi. Il semblait ignorer complètement ma présence, et cette attitude étrange me remplissait d’étonnement. Je le fixais avec persistance, moi, et, à la fin, exaspérée de cette inattention soutenue, pour le sortir de son apathie, je demandai brusquement :

— Pourquoi est-ce que ce petit garçon boit tant d’eau ?

Papa tourna vivement la tête de son côté et le regarda longtemps d’un air mécontent, puis il me dit :

— Lucien boit ce qu’il veut. Laisse-le tranquille. Me croirez-vous si je vous dis que déjà alors, confuses et sourdes comme le sont les impressions des enfants lorsqu’ils s’expliquent mal ce qui se passe sous leurs yeux, j’éprouvai un premier mouvement de révolte ?

Quelque chose se soulevait au fond de mon cœur, je ne sais pas bien, même aujourd’hui, ce que c’était : de la pitié peut-être, une pitié vague, sans cause clairement définie, un sentiment de crainte, indécis et flottant, un je ne sais quoi d’inquiet qui tout de suite fixa mon attention sur ce petit compagnon d’existence que le hasard me donnait.

Il quitta la table avant la fin du déjeuner