Page:Premier recueil de diverses poésies tant du feu sieur de Sponde que des sieurs Du Perron, de Bertaud, de Porchères et autres, non encor imprimées, recueillies par Raphaël Du Petit Val, 1604.djvu/43

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Ne crains point, mon Esprit, d’entrer en ceste lice,
Car la chair ne combat ta puissante justice
Que d’un bouclier de verre, & d’un bras de roseau.
Dieu t’armera de fer pour piler ce beau verre,
Pour casser ce roseau, & la fin de la guerre,
Sera pour toy la Vie, et pour elle un Tombeau.

C’est assez enduré que de ceste vermine
La superbe insolence à ta grandeur domine,
Tu luy dois commander, cependant tu luy sers :
Tu dois purger la chair, & ceste chair te souille,
Voire, de te garder un desir te chatouille,
Mais cuidant te garder, mon Esprit, tu te perds.

Je te sens bien esmeu de quelque inquietude,
Quand tu viens à songer à ceste servitude,
Mais ce songe s’estouffe au sommeil de ce corps :
Que si la voix de Dieu te frappe les oreilles,
De ce profond sommeil soudain tu te resveilles :
Mais quand elle a passé soudain tu te r’endors.

Tu surmontes tantost, mais tantost tu succombes,
Tu vas tantost au Ciel, mais tantost tu retombes,
Et le Monde t’enlasse encore en ses destours :
C’est bien plus, car tu crains ce que plus tu dessires,
Ton esperance mesme a pour toy des martyres,
Et bref tu vois Bien, mais tu suis le rebours.

Encore ce peu de temps que tu mets à resoudre
Ton depart de la Terre, un nuage de poudre,
Que tu pousses en l’air enveloppe tes pas :
J’yi bien vu sauteler les bouillons de ton zele,
J’ay vu fendre le vent aux cerveaux de ton aisle,
Mais tu t’es refroidi pour revoler en bas.