Page:Procès-verbal de la Commission Municipale du Vieux Paris, 1900.djvu/148

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A côté de ces nécessités ordinaires,-indispensables sans doute au développement de toute grande cité, une, large .place ne doit-elle pas être faite à son histoire? Et pour que cette histoire se puisse mieux lire, ne doit-on pas apporter tous ses soins à en conserver les vestiges encore debout?

Quelle leçon de choses admirable, pour apprendre le passé d'une ville, qu'une promenade à travers ses monuments, ses vieilles.rues, ses antiques maisons !

Et quelle ampleur, quel développement prend tout à coup cette leçon quand la ville à connaître s'appelle Paris!

Ses rues tortueuses, ses maisons bizarres, ses vieux monuments, ne sont-ils pas les témoins, souvent les acteurs de cette vivante histoire de la grande ville dont chacune des lignes pourrait servir d'en-tête aux cha- pitres de celle de la France !

Certes, la tâche est immense et la responsabilité lourde d'assurer cette chose, dont le but est de con- server à Paris son rayonnement sur le monde par ses aspects et ses souvenirs. Car, à côté des besoins ma- tériels inhérents à la vie quotidienne, à côté de la pieuse conservation des vestiges du passé, il faut encore prévoir, dans la marche incessante vers le pro- grès, un embellissement raisonné et judicieux qui doit lui conserver, tout en.la parant davantage, son carac- tère de ville du passé, de. ville-ancêtre.

« Il n'est pas possible, écrivait Victor Hugo, que Paris, la ville de l'avenir, renonce à l'a preuve vivante qu'elle a été là ville du passé. »

Combien de délicatesse ne doit-elle pas avoir, la main chargée du soin de la conservation de cette cité unique, édifiée lentement à travers les âges, d'un spé- cimen de chacun d'eux et formant un ensemble qui s'harmonise et s'estompe dans l'atmosphère la plus délicate qui se puisse voir, l'atmosphère parisienne.

Il ne faut pas oublier que le charme et la beauté qui émanent de Paris sont le. principal élément de sa prospérité et qu'ils sont le foyer auquel s'alimentent l'artiste, l'artisan, l'ouvrier parisien dont les incompa- rables productions font sa gloire et son éclat. 11 serait inutile de chercher ailleurs la source de leur bon goût et de leur talent; elle prend assurément sa vie dans l'ambiance de cette accumulation de belles choses qui se déroulent sans cesse sous leurs yeux.

Paris, sous ses multiples aspects, n'est-il pas le plus étonnant modèle dont puissent s'inspirer le génie, le talent, le travail?

Ses musées aux richesses sans nombre, ses monu- ments, dont les architectures diverses indiquent si éloquemment la longue traversée des âges, ses pers- pectives aux allures grandioses qui symbolisent si hautement la capitale d'un grand pays, son fleuve incomparable dont les lointains fuyants nous mon- trent, dans un panorama unique au mondo, les profils fantastiques des forteresses du moyen âge, les masses imposantes des palais de la monarchie, et les multi- ples clochers, dômes et campaniles qui silhouettent son horizon.

Ses plantations, enfin, luxuriante forêt parisienne, si chères à sa population et qui lui donnent, le prin-

temps venu, cet air de fête et de renouveau que l'on chercherait vainement ailleurs.

Toute cette longue suite de merveilles n'est-elle pas la source sacrée de laquelle jailliront les arts, les sciences, les lettres, dont Paris est la vraie patrie ?

Si les municipalités passées ont eu toujours pour but constant l'amélioration matérielle des conditions do la vie de leurs administrés, elles ne sont pas toujours exemptes de reproches en ce qui concerne la conserva- tion des monuments laissés par les âges précédents. Elles eurent souvent la main lourde et, sous prétexte d'air et de lumière, bien des exécutions sommaires furent consommées que n'eussent pas désavouées les iconoclastes des premiers temps de la chrétienté :

Le donjon du Temple,, ce formidable souvenir du passé, forteresse taillée dans le granit, à l'aube de notre histoire, pour le service d'une monarchie qui devait plus tard s'y éteindre, ne trouva pas grâce, en 1811, devant l'Empire vainqueur.

Ne devait-on pas, en 1845, avec la complicité de l'architecte Hittorf, mutiler la merveilleuse construc- tion gothique, du cloître des Bernardins pour y ins- taller une caserne de sapeurs-pompiers qui eut cer- tainement trouvé place à coté.

Une administration municipale qui n'est pas bien loin de nous et qui a conservé la réputation d'avoir fait de grandes choses, n'hésita pas, dès son aurore, à jeter brutalement par terre la vieille tour de la Com- mande™ de Saint-Jean-de-Latran, édifiée sous le règne de Philippe-Auguste. Quelles que furent les sollicitations des érudits et des artistes, inexorable- ment, le donjon condamné tomba en 1854 pour laisser passer la rue,des Ecoles. La tour Bichat eût pu, de l'avis des hommes compétents, être sauvée sans nuire ,à l'ouverture de la rue.

Celte même administration, qui débuta comme on vient de le voir, devait terminer sa carrière, en 1869 et 1870, par la destruction impitoyable d'une grande partie des arènes gallo-romaines situées sur le passage d'une rue projetée.

Un grand émoi s'empara à cette occasion du monde savant, des démarches furent faites, mais inutilement.

On ne comprit pas, sans doute, puisqu'on laissa faire.

Et le passage de la rue Monge fut cause que le premier théâtre parisien est à jamais mutilé.

Une légère et facile déviation de la voie eût permis de conserver l'intégralité de ce grand souvenir.

La tour Saint-Jacques-de-la-Boucherie, cette pure fleur gothique, éclose en pleine Renaissance, à l'avril du xvi" siècle, n'aurait-elle pas aussi disparu, sans raisons et sans motifs, si la grande voix de Victor Hugo ne l'avait sauvée comme elle devait plus tard sauver celle de l'enceinte fortifiée du monastère de Saint-Martin-des-Champs, au coin de la rue du Vertbois.

Est-il nécessaire de citer encore la démolition du vieux logis des princes de la Trémouille, édifié au xv" siècle rue des Bourdonnais et que n'essayèrent même pas de sauver, en 1841, l'Etat et la Ville..

Des quelques vestiges de cette merveille de pierre,’