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la question wagner depuis la guerre

Tribschen ; le 4 septembre, il baptise son fils Siegfried (dont la marraine par procuration fut Mme Judith Gautier-Mendès). Sa vie familiale et artistique l’absorbe tout entier[1] : le 2 juillet, il a terminé le

  1. Une belle lettre de la comtesse Kalergis-Mouchanoff, cette grande dame polonaise qui avait, par un don de 10, 000 francs, comblé le déficit des concerts parisiens de 1860, nous fait pénétrer dans l’intimité de Wagner alors retiré aux bords du lac des Quatre-Cantons, à Tribschen :

    « Ne vous indignez pas contre moi, écrit la comtesse à sa fille, en septembre 1869, mais j’aime Mme  de Bülow autant que par le passé, avec une nuance d’attendrissement de plus. Elle subit une situation qu’elle avait voulue et où l’ont fatalement amenée l’égoïste passion de Wagner, la grandeur d’âme de M. de Bülow et les persécutions, les infamies du monde grand et petit, si acharné contre tout ce qui le domine. Elle ne veut pas changer de religion, espère se marier dans deux mois chez le beau-père de M. Schuré (pasteur protestant d’Alsace) et rentrer à Triebschen pour y vivre et mourir. Leur retraite est profonde, Wagner ne reçoit que ses parents et ses dévoués, il parle avec une noble indépendance de la possibilité d’une rupture avec le roi, préférant sauver son œuvre et perdre sa fortune. Celle-ci consiste dans les 6 000 florins de pension et le revenu des opéras, éditions et représentations. Wagner en houppelande de velours noir, avec le bonnet de Magister, des lunettes sur le nez; elle, mit ihrer jungfräulichen Gestalt, a l’air de sa fille, lit sa pensée dans ses yeux et l’achève comme si leur âme était une en deux personnes. Elle pleure beaucoup, élève ses enfants à merveille et travaille jour et nuit à la gloire de celui qui résume à ses yeux toutes les perfections. Wagner l’a autorisée à me lire l’esquisse de Parsifal, l’ouvrage qu’il réserve pour la fin de sa vie, si elle est assez longue. Aucune poésie, aucune littérature n’aura jamais rien de semblable. C’est trop grand, trop angélique, trop chrétien, pour l’appeler opéra. Sublime de profondeur symbolique, de clarté et de mouvement dramatique. Je vous le raconterai. Cosima pleurait en le lisant, moi en l’écoutant. Quand nous avons fini, Wagner a dit : « N’est-ce pas que cela vous étonne qu’un homme accusé d’être un Casanova pense à de pareilles choses ? » Les Mendès, M. de Villiers (de l’Isle-Adam) et Servais sont venus ù Triebschen en même temps que moi. J’ai assisté à la réception de Mlle  Holmès, escortée de Richter, d’un juif wagnérien,