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Jamais un peuple plus dégagé de tous les préjugés, plus affranchi du joug de ſes anciennes inſtitutions, n’a offert plus de facilité pour ne ſuivre dans la compoſition de ſes lois que les principes généraux conſacrés par la raiſon ; mais jamais auſſi l’ébranlement cauſé par une révolution ſi entière, jamais un mouvement plus rapide imprimé aux eſprits, jamais le poids d’une guerre plus dangereuſe, jamais de plus grands embarras dans l’économie publique, n’ont ſemblé oppoſer à l’établiſſement d’une Conſtitution des obſtacles plus multipliés.

Il faut que la Conſtitution nouvelle convienne à un peuple chez qui un mouvement révolutionnaire s’achève, & que cependant elle ſoit bonne auſſi pour un peuple paiſible ; il faut que, calmant les agitations ſans affoiblir l’activité de l’eſprit public, elle permette à ce mouvement de s’appaiſer ſans le rendre plus dangereux en le réprimant, ſans le perpétuer par des meſures mal combinées ou incertaines, qui changeroient cette chaleur paſſagèrement utile en un eſprit de déſorganiſation & d’anarchie.

Toute hérédité politique eſt à-la-fois & une violation évidente de l’égalité naturelle & une inſtitution abſurde, puiſqu’elle ſuppoſe l’hérédité des qualités propres à remplir une fonction publique. Toute exception à la loi commune, faite en faveur d’un individu, eſt une atteinte portée aux droits de tous. Tout pouvoir au-deſſus duquel il ne s’en élève aucun autre, ne peut être confié à un ſeul individu, ni pour la vie, ni pour un long eſpace de temps, ſans lui conférer une influence attachée à ſa perſonne & non à ſes fonctions, ſans offrir à ſon ambition des moyens de perdre la liberté publique, ou du moins de le tenter.

Enfin, ce reſpect pour un individu, cette eſpèce d’ivreſſe, dont la pompe qui l’entoure frappe les imaginations foibles ; ce ſentiment d’un dévouement aveugle qui en eſt la ſuite ; cet homme mis à la place de la loi, dont on l’appelle l’image vivante ; ces mots vides de ſens, par leſquels ont veut conduire les hommes comme s’ils étoient indignes de n’obéir qu’a la raiſon : tous ces moyens de gouverner par l’erreur & la ſéduction ne conviennent plus à un ſiècle éclairé, à un peuple que les lumières ont conduit à la liberté.

L’unité, l’activité, la force du gouvernement ne ſont pas des attributs excluſivement attachés à ces dangereuſes inſtitutions. C’eſt dans la volonté ferme du peuple d’obéir à la loi, que doit réſider la force d’une autorité légitime. L’unité, l’activité peuvent être le fruit d’une organiſation des pouvoirs, ſimple & ſagement combinée, & l’on eſpéroit vainement s’aſſurer cet avantage en les réuniſſant dans un ſeul individu que l’orgueil de ſa puiſſance corrompt