Page:Proudhon - De la Capacité politique des classes ouvrières.djvu/138

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tissent de plaintes contre l’agiotage. Or, qu’est-ce en soi que l’agiotage ? Un apologiste du commerce agioteur, aussi bon logicien qu’homme d’esprit, nous le disait naguères : c’est l’art, dans une société livrée au mercantilisme anarchique, de prévoir les oscillations des valeurs, et de profiter, par des achats et des ventes faits à propos, de la hausse et de la baisse. En quoi, disait-il, ce genre d’opérations qui, il faut le reconnaître, exige une haute capacité, une prudence consommée, une multitude de connaissances, en quoi serait-il immoral ?… En effet, le milieu donné, le métier d’agioteur est aussi honorable que celui de héros ; ce n’est pas moi qui lui jetterai la pierre. Mais il faut qu’on m’avoue en revanche que si, dans une société en état de guerre, la spéculation agioteuse ne peut aucunement être incriminée, elle est essentiellement improductive. Celui qui s’est enrichi par des différences n’a aucun droit à la reconnaissance pas plus qu’à l’estime des hommes. S’il n’a escroqué ni volé personne, — je parle de l’agioteur émérite, qui ne fait usage dans ses spéculations que de son génie divinatoire, n’employant ni fraude ni mensonge, — il ne peut pas se flatter non plus d’avoir été le créateur de la moindre utilité. La conscience aimerait mieux mille fois qu’il eût dirigé ses talents vers toute autre carrière, laissant les valeurs suivre leur cours naturel, sans venir surcharger la circulation d’un prélèvement dont en définitive le public se passerait bien. Pourquoi cet écrémage, pareil à l’octroi qui se perçoit à la porte des villes, et qui n’a pas comme celui-ci pour excuse la nécessité de pourvoir aux dépenses d’une cité ? Tel est le motif qui dans tous les temps a rendu l’agiotage odieux, aussi bien aux économistes qu’aux moralistes et aux hommes