Page:Proudhon - De la Capacité politique des classes ouvrières.djvu/99

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En voilà assez, ce me semble, pour démontrer que l’idée mutuelliste a pénétré, d’une façon nouvelle et originale, les classes ouvrières ; qu’elles se la sont appropriée ; qu’elles l’ont plus ou moins approfondie, qu’elles l’appliquent avec réflexion, qu’elles en prévoient tout le développement, en un mot, qu’elles en ont fait leur foi et leur religion nouvelle. Rien de plus authentique que ce mouvement, bien faible encore, mais destiné à absorber non plus seulement une noblesse de quelques centaines de mille âmes, mais une bourgeoisie qui se compte par millions, et à régénérer la société chrétienne tout entière.

Voyons maintenant l’idée en elle-même.

Le mot français mutuel, mutualité, mutuation, qui a pour synonyme réciproque, réciprocité, vient du latin mutuum, qui signifie prêt (de consommation), et dans un sens plus large, échange. On sait que dans le prêt de consommation l’objet prêté est consommé par l’emprunteur, qui n’en rend alors que l’équivalent, soit en même nature, soit sous toute autre forme. Supposez que le prêteur devienne de son côté emprunteur, vous aurez une prestation mutuelle, un échange par conséquent : tel est le lien logique qui a fait donner le même nom à deux opérations différentes. Rien de plus élémentaire que cette notion : aussi n’insisterai-je pas davantage sur le côté logique et grammatical. Ce qui nous intéresse est de savoir comment, sur cette idée de mutualité, réciprocité, échange, Justice, substituée à celles d’autorité, communauté ou charité, on en est venu, en politique et en économie politique, à construire un système de rapports qui ne tend à rien de moins qu’à changer de fond en comble l’ordre social.