Page:Proudhon - De la création de l’ordre dans l’humanité.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


177. On dira peut-être, en retournant la démonstration, que l’on peut tout aussi bien concevoir la série comme propriété du nombre, que le nombre comme application de la série ; par conséquent que la métaphysique tire plutôt sa certitude des mathématiques, que les mathématiques ne tirent la leur de la loi sérielle.

Cette réflexion serait juste, si nous ne connaissions que des séries arithmétiques ou géométriques : mais comme il existe d’autres séries, pour l’intelligence desquelles les mathématiques ne sont d’aucun secours, il faut bien reconnaître que celles-ci empruntent à la loi sérielle leur propre certitude, et que tout au plus elles en sont la première application.

Aussi, lorsque nous serons parvenus à la deuxième partie de la métaphysique, nous verrons qu’un tableau tel que la Cène ou la Transfiguration, un opéra de Meyerbeer, un marbre de Canova, sont des séries dont l’invention, la composition et l’exécution peuvent être soumises à une sorte de calcul métaphysique, aussi sûr que celui qui nous a démontré le système du monde, mais pour lequel les chiffres et le compas ne serviraient absolument de rien.

178. Lorsque Kant a dit que les jugements mathématiques étaient tous synthétiques, « vérité, ajoute-t-il, incontestable et très-importante par ses suites, bien qu’elle semble avoir échappé jusqu’ici à la sagacité des analystes de la raison humaine, et même être très-contraire à leur attente[1] », Kant a affirmé la série comme condition des mathématiques ; mais lorsqu’il ajoute que les jugements de cet ordre sont tous à priori, il a parlé selon la donnée philosophique qui fait tout son système : car, d’une part, la loi sérielle est antérieure aux mathématiques ; de l’autre, elle nous est révélée par l’expérience.

Dans sa Critique de la raison pure, dans sa Logique, en un mot dans tous ses ouvrages, cet illustre métaphysicien a côtoyé perpétuellement la loi sérielle ; le nom même lui échappe quelquefois : mais il ne l’a point proclamée, il ne l’a point reconnue. Toutes les erreurs répandues dans ses ouvrages, comme tout ce qu’ils renferment de vrai, vient d’une aperception incomplète de la loi sérielle : et c’est là, comme nous aurons plus d’une occasion de nous en convaincre, tout le secret de la philosophie de Kant.

179. Puisque je viens de nommer un si grand génie, je puis bien, à son exemple, me poser cette question : Comment les

  1. Critique de la raison pure, trad. de Tissot.