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L’organisation sociale est la combinaison régulière des forces individuelles ;
Or, la combinaison des forces est essentiellement subordonnée à l’accord des passions ;
Donc, organiser la société, c’est harmoniser les passions[1].


Le vice de ce raisonnement, comme de tous les syllogismes du monde, consiste à affirmer, sans preuves, une proposition générale, puis à passer de cette proposition hypothétique à une autre encore plus douteuse, et qui souvent en est séparée par des abîmes.

a) « L’organisation sociale est la combinaison régulière des forces individuelles. »

C’est probable : mais, bien que cette proposition puisse être vraie, elle n’est pas autre chose qu’une formule, c’est-à-dire le résumé d’une analyse qui épuiserait tous les faits d’organisation. Or, une formule est précisément ce qui a le plus besoin d’être démontré ; elle ne se pose pas, de prime-abord, comme principe. Sais-je, en effet, tout ce qui peut être affirmé de l’organisation sociale ? Ai-je saisi tous les points de vue d’après lesquels on peut la définir ? Faut-il ne voir dans les hommes que des travailleurs, et dans la société qu’un atelier ? et puis-je accorder une majeure qui suppose juste ce qui est en question ?

b) « La combinaison des forces est essentiellement subordonnée à l’accord des passions. »

Autre formule qu’il eût fallu démontrer. La force est-elle produite ou seulement excitée par la passion ? qu’est-ce que la force ? qu’est-ce que la passion ? La force est-elle dépendante de la passion, au point que la régularisation de celle-là ne puisse être obtenue que par la satisfaction de celle-ci ? et pourquoi ?… Il n’y a pas de fin aux questions que cette mineure soulève.

c) « Donc organiser la société, c’est harmoniser les passions. »

Pourquoi ne serait-ce pas plus simplement harmoniser les forces, c’est-à-dire le travail ? Quelle nécessité de remonter aux causes, tandis que l’on peut obtenir le même résultat en s’arrêtant à leurs effets ? Et qui nous dit que, dans le cas dont il s’agit, régulariser les effets ne soit pas gouverner les causes ; que discipliner les actions ne soit pas précisément harmoniser les passions ?

Ici, je ne dispute point sur la valeur du système de Fourier ; qu’il soit vrai ou faux, peu importe : je constate seulement que la méthode syllogistique par laquelle ses disciples s’efforcent de le démontrer est radicalement nulle.

  1. A. Paget, Introd. à la science sociale, p. xxxiii.