Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 1.djvu/115

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pas : elle est remplacée par le commandement divin. Le respect du droit d’autrui, d’après cette théorie, ne vient pas en moi de la même source que le sentiment de ma propre dignité ; il vient d’une autre cause. En réalité, l’homme ne connaît qu’un droit, qui est le sien ; il ne soupçonne le droit en autrui que grâce à la religion. La personnalité est ici prédominante ; qui s’en étonnerait ? L’homme connaissait la société et les dieux depuis trop peu de temps pour avoir pu s’oublier lui-même ; il ne comprenait que son droit, sa dignité propre, deux termes pour lui synonymes, comme le montre la définition de Cicéron, et comme on le voit par le rapprochement des radicaux, δίκη, justice, dignitas, dignité.

Dans ces conditions, peut-on dire que la Justice existe ?

Est-ce de la Justice que ce sentiment postiche, inspiré par la crainte des dieux et dans l’intérêt général, communi utilitate comparata, de respecter le droit d’autrui comme le sien propre ?

Ce n’est pas rien assurément que cette sanction d’un pouvoir supérieur, pris à témoin et comme garant du droit de chacun, protecteur de la dignité de tous, dans les limites posées par la loi, c’est-à-dire par les paroles ou formules sacrées (lex de lego, je parle). Et nous pouvons soupçonner déjà que la contemplation du surnaturel trahit quelque chose de naturel qui ne se montre pas encore, mais qui apparaîtra sans doute à fur et mesure de l’éducation des âmes et du progrès de l’humanité.

Mais, quelque espoir que nous en concevions pour l’avenir, la religion, symbole de la Justice, n’est pas la Justice. Elle la supplée, que dis-je ? elle implique sa négation, puisqu’elle la remplace ; et vienne le jour où, la critique ayant soufflé sur la foi, la religion sera écartée, la Justice sera perdue, et la morale, et la société avec elle.

Mais ne devançons pas les événements.