Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 1.djvu/133

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Aristote professe les mêmes maximes : il dit que chaque citoyen doit se persuader que nul n’est à soi, mais que tous sont à l’État.

Cicéron, témoin des luttes civiles que faisait naître le débordement de la personnalité aristocratique, regarde l’amour de la patrie comme le premier des devoirs, et il en fait naître tous les autres.

Ces idées, devenues depuis lieux communs, étaient alors nouvelles : il faut donc admettre que jusque-là la société avait reposé sur un principe contraire.

Alors se propagea dans les masses cet esprit de centralisation du pouvoir et d’écrasement des volontés qui, sorti du cerveau de quelques penseurs, devait finir, en Italie comme en Grèce, par engendrer le despotisme. Les Césars ne furent que les successeurs d’Alexandre et de ses héritiers, lesquels à leur tour n’avaient fait qu’appliquer, comme Épaminondas, Phocion, Philopœmen, avec plus ou moins de bonne foi, les leçons des philosophes.

Alors l’Europe individualiste, qui avait vaincu l’Orient absolutiste dans les guerres médiques ; qui dans l’héroïque Hellade avait créé la philosophie et les arts, et dans la sévère Italie fondé le droit ; l’Europe, en dépit de son génie, devint une contrefaçon de l’Orient. Ce n’est pas tout à fait ce qu’avaient demandé les philosophes ; mais c’en fut l’équivalent. Toute volonté doit s’incliner devant la volonté générale, avaient dit les théoriciens ; et il se trouva que la volonté générale n’était autre que celle de l’Empereur, maître absolu, comme les rois d’Orient, de la terre et des hommes.

XI

Quelques écrivains de l’école catholique se sont prévalus de cette réaction pour en induire que l’antiquité n’avait eu aucune connaissance du droit naturel ; que sous l’influence du polythéisme la liberté individuelle était sa-