Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 1.djvu/137

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galité commença à disparaître, qu’à la place du sentiment des mœurs et du respect des institutions, — pro modestia ac pudore, — l’ambition et la violence marchèrent à découvert ; alors commencèrent les oppressions de toutes sortes, et à leur suite la tyrannie des lois. Quand on fut las des princes, on se livra aux faiseurs de lois. Elles furent d’abord simples comme il convenait à des natures simples : telles furent celles de Minos, de Lycurgue, de Solon, de Numa. Avec le temps, la faculté de légiférer devint un autre moyen de discorde et de trouble : on ne se contenta pas de statuer sur les choses d’intérêt commun ; l’inquisition atteignit jusqu’à la vie privée, et la corruption de la république fut marquée chaque année par la multitude des décrets : In singulos homines latœ quœstiones, et corruptissima republica plurimœ leges. Autant on avait souffert du déluge des crimes, autant on souffrait maintenant de l’avalanche des lois : Utque antehac flagitiis, ita nunc legibus laborabatur. » (Annal., lib. iii, c. 25, 26 et 27.)

Il en fut de même encore pour les Juifs, dont M. Bordas-Demoulin prend tout simplement la fin pour le commencement. Chacun sait que le Pentateuque ne fut composé que vers les derniers temps du royaume de Juda ; que les idées messianiques, ou de royauté absolue, ne naquirent qu’à la suite de la captivité, à l’imitation des empires d’Assyrie et de Perse ; qu’auparavant la liberté individuelle, comme celle des cultes, avait été excessive ; que les rois, chefs féodaux plutôt que souverains absolus, la protégeaient eux-mêmes, contre le vœu du sacerdoce, champion du droit divin et de l’intolérance. C’était bien autre chose encore du temps des Juges, où chacun faisait ce qu’il voulait, observe tristement l’écrivain sacré.

Des faits si palpables que l’écrivain qui les contredirait ne mériterait pas même d’être lu ne devraient pas avoir besoin d’être relevés ; mais c’est le propre des doctrines fondées en transcendance de tout intervertir et de tout confondre.