Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 1.djvu/151

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

répond M. Enfantin, elle résulte de l’imperfection nécessaire du jugement. Connais-toi toi-même, avait dit l’oracle de Delphes. C’est inutile, réplique la sagesse enfantine : le prêtre, l’homme de l’amour et de la synthèse, est là qui vous connaît et vous apprécie mieux que vous ne sauriez faire. Buvez donc et mangez, engraissez, faites des enfants et de la richesse ; le surplus ne vous regarde pas.

Ainsi le saint-simonisme se réduit à un coup de bascule. Avant lui, la chair et toutes les affections qu’elle inspire avaient été sacrifiées au salut de l’âme, particule du souffle divin ; maintenant c’est le moi dont la dignité est sacrifiée par la décision du prêtre à la conservation de la chair, partie du corps de Dieu : ce qui implique toujours dégradation, et la pire des dégradations.

Homme, disait l’église du Christ, tu es déchu par la concupiscence ; obéis à mon commandement, et je sauverai ton âme pour l’éternité.

Homme, reprend l’église d’Enfantin, tu es déchu par les hallucinations de ton génie ; soumets ton jugement, et je sauverai ta chair de la misère.

Les saints-simoniens se vantent en effet de détruire le paupérisme, ce qui n’est vraiment pas merveilleux à la condition qu’ils y mettent, le sacrifice de la volonté. Le difficile, c’est de préserver à la fois de la déchéance l’âme et le corps, c’est de sauver dans son intégralité la dignité de l’homme.

Aussi n’est-il d’aristocratie pire que celle imaginée par les disciples de Saint-Simon.

Dans le christianisme, après tout, l’homme-déchu n’étant châtié que dans cette vie mortelle ; le prolétariat, le travail servile, le paupérisme, n’étant que des accidents de la fatalité, que le jugement de Dieu faisait tourner à l’expiation des âmes, la meilleure partie de nous-mêmes