Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 1.djvu/156

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La raison de ce phénomène est dans notre puissance anthropomorphique, ou faculté de réaliser, en corps et en âme, la divinité.

Regardez le déisme de M. Cousin, celui des Écossais ou de M. Jules Simon : le travail de réalisation est déjà à moitié fait. Leur Dieu n’est-il pas vivant, personnel, volontaire, savant, prévoyant, gouvernant, juge, vengeur et rémunérateur ? Il a une vie, une âme, une conscience, un amour, une liberté : que lui manque-t-il ? Un corps ? C’est la moindre chose, vraiment. Spinoza, disciple de Descartes, a prouvé par sa géométrie comment l’esprit et la matière sont les deux modes de la substance divine. Or, vous n’avez pas encore réfuté Spinoza. Aussi n’a-t-il pas tenu au messianiste Wronski que le dieu de Hégel, le même que celui de Spinoza, ne devînt le Christ Alexandre.

Prétendre que l’être de Dieu, ou, ce qui revient au même, son concept, se réduise, s’arrête à la condition d’esprit pur, c’est affirmer que la matière est étrangère à la nature divine ; que l’on sait par conséquent ce qu’est cette nature et ce qu’est cette matière, ce que c’est qu’un corps et ce que c’est qu’un esprit : toutes prétentions de la plus haute impertinence.

XVIII

Le dogme de l’Incarnation, développé et rendu populaire du premier au quatrième siècle de notre ère, semblait de nature à relever singulièrement notre espèce et à l’enorgueillir. Mais l’Incarnation était le corrélatif de la chute, dont le sentiment, l’emportant dans les âmes produisit une tristesse mortelle. L’Apôtre en rend témoignage : Nous savons, dit-il, que toute créature gémit et qu’elle est en travail : Scimus enim quod omnis creatura ingemiscit, et parturit usque adhuc (Rom., viii, 22). Et encore : La désolation du siècle produit la mort : Sæculi tristitia mortem operatur (II Cor., vii, 10).