Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 1.djvu/188

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sentiment de notre dignité en autrui. Or, c’est le propre de notre dignité de nous passer de l’assistance des autres ; conséquemment, de désirer que le prochain se passe de la nôtre, qui plus est de vouloir qu’il s’en abstienne. Le christianisme, qui a conçu l’amour par charité, debitum conjugale, ne pouvait pas manquer de faire aussi de la Justice une dépendance de la charité. En cela il était fidèle à son principe et à son rôle. Mais qui se serait attendu à voir cette théorie, dont notre fierté se révolte, ramassée par des philosophes sortis de la Révolution, et qui se présentent comme ses interprètes ? Et n’est-ce pas chose étrange que les mêmes écrivains qui, pour rendre la Justice plus sacrée à nos yeux, commencent par la rapporter au Ciel, la faisant supérieure à l’homme, la rabaissent ensuite au-dessous de l’homme, en la déduisant des affections de la pure animalité ?

4. Puisque la critique nous a conduits à parler de l’animalité, comparons ce qui se passe dans le cœur de l’homme, lorsqu’il se trouve en relation avec ses semblables, avec ce qu’il éprouve dans ses rapports avec les animaux.

L’homme fait la chasse aux bêtes : c’est une de ses prérogatives. À ces êtres d’ordre inférieur, il tend des pièges ; il use à leur égard de violence et de perfidie ; il les traite en despote, selon son bon plaisir ; il les dépouille, les exploite, les vend, les mange : tout cela sans crime ni remords ; sa conscience n’en murmure point, ni son cœur ni son esprit n’en souffrent ; pour lui, il n’y a pas d’injustice. Et la raison, s’il vous plaît ? La raison est qu’il ne reconnaît pas de dignité aux animaux, ou, pour parler rigoureusement, qu’il ne sent pas sa dignité, si j’ose ainsi dire, dans leur personne.

Il y a pourtant entre l’homme et la bête une certaine sympathie, fondée sur le sentiment confus de la vie universelle, à laquelle tous les êtres vivants participent. De