Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 1.djvu/227

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Laissons les phrases. L’Église, en ce qui concerne les biens, n’a pas plus de morale qu’en ce qui touche les personnes : telle est la vérité, dont Bergier convient avec assez de franchise dans son Dictionnaire :

« On entend quelquefois de bons chrétiens se plaindre de ce que le code de la morale évangélique n’est pas assez complet, assez détaillé, pour montrer dans tous les cas ce qui est commandé ou défendu, permis ou toléré, péché grief ou faute légère. Nous sommes très-persuadés, disent-ils, que l’Église a reçu de Dieu l’autorité de décider la morale aussi bien que le dogme ; mais par quel organe fait-elle entendre sa voix ? Parmi les décrets des conciles touchant les mœurs et la discipline, les uns défendent ce que les autres semblent permettre ; plusieurs n’ont pas été reçus dans certaines contrées ; d’autres sont tombés en désuétude et ont cessé d’être observés. Les Pères de l’Église ne sont pas unanimes sur tous les points de morale, et quelques-unes de leurs décisions ne semblent pas justes. Les théologiens disputent sur la morale aussi bien que sur le dogme ; rarement ils sont d’accord sur un cas un peu compliqué. Parmi les casuistes et les confesseurs, les uns sont rigides, les autres relâchés. Les prédicateurs ne traitent que les sujets qui prêtent à l’imagination et négligent tous les autres. Enfin, parmi les personnes les plus régulières, les unes se permettent ce que d’autres regardent comme défendu. Comment éclaircir nos doutes et calmer nos scrupules ?

Voilà l’objection telle que l’a résumée Bergier, et que j’eusse pu la formuler moi-même. À cela que répond le célèbre théologien ? Nie-t-il la justice de ce reproche ? dit-il que le motif en est faux ou exagéré ? Contre quelques aberrations des docteurs qu’il eût été facile de mettre sur le compte de la faiblesse de la raison humaine, revendique-t-il la morale éternelle, indéfectible et certaine de la foi ? Non, il avoue tout et bat la campagne. Mais il faut l’entendre :

Nous répondons à ces âmes vertueuses qu’une règle de morale telle qu’elles la désirent est absolument impossible.