Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 1.djvu/458

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présentait la souveraineté du peuple, dont il exerçait les droits. Je crois que c’est confondre les idées et les temps. Le chef féodal était le siége vivant de la nationalité, comme Charles VII, au temps de la Pucelle, était le porte-drapeau de la France. L’annulation du serment de fidélité ou de l’hommage féodal équivalait à une dissolution nationale, et ce qui est pire, à un transport de la nationalité sur une tête étrangère. Suspension de la patrie, grand Dieu ! suspension de la morale.

Les choses ont changé depuis six siècles. L’Église ne relève plus les peuples de leurs serments envers les rois ; ce sont les rois, plutôt qu’elle délie de leurs serments envers les peuples. Il faut qu’elle lie ou délie toujours quelque chose… Ceci devient plus scabreux. En résultat, il ne paraît pas que les princes excommuniés du moyen âge, quand leurs peuples n’avaient pas à s’en plaindre, se soient bien mal trouvés de l’anathème ecclésiastique ; on a vu même quelquefois les sujets et les rois, les déliés et les liés, faire contre la papauté cause commune. De nos jours, la réciproque ne passe pas tout à fait de même. Les Stuarts se sont crus déliés : ils ont péri, qui par la main du bourreau, qui dans l’exil. Louis XVI s’est cru délié, et la guillotine a été sa récompense. Charles X s’est cru délié, et il est parti pour l’exil. Les chefs de la Sainte-Alliance, après avoir renversé Napoléon, qui s’était fait lier, il est vrai, par Pie VII, se sont crus, quant à eux, déliés vis-à-vis de leurs peuples, et 1848 leur a donné une saccade dont ils ne sont pas remis. De plus belle l’Église lie et délie, lie les peuples et délie les potentats… Suspension du droit public et de toutes les obligations sacramentelles sur lesquelles il repose : suspension de la morale.