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Par le groupement des forces individuelles, et par le rapport des groupes, la nation entière forme corps : c’est un être réel, d’un ordre supérieur, dont le mouvement entraîne toute existence, toute fortune. L’individu est immergé dans la société ; il relève de cette haute puissance, dont il ne se séparerait que pour tomber dans le néant. Si grande, en effet, que soit l’appropriation des forces collectives, si intense que soit la tyrannie, il est évident qu’une part du bénéfice social reste toujours à la masse, et qu’en somme il est meilleur pour chacun de rester dans le groupe que d’en sortir.

Ce n’est donc pas l’exploiteur en réalité, ce n’est pas le tyran, que suivent les travailleurs et les citoyens : la séduction et la terreur entrent pour peu dans leur soumission. C’est la puissance sociale qu’ils considèrent, puissance mal définie dans leur pensée, mais hors de laquelle ils sentent qu’ils ne peuvent subsister ; puissance dont le prince, quel qu’il soit, leur montre le sceau, et qu’ils tremblent de briser par leur révolte.

Voilà pourquoi tout usurpateur de la puissance publique ne manque jamais de couvrir son crime du prétexte de salut public, de se qualifier père de la patrie, restaurateur de la nation, comme si la force sociale tirait de lui son existence, tandis qu’il n’est pour elle qu’une effigie, un timbre, et, si on peut le dire, une raison commerciale. Aussi tombera-t-il avec la même facilité qu’il s’est établi, le jour où sa présence semblera compromettre le grand intérêt qu’il a prétendu défendre : là est en dernière analyse la cause de la chute de tous les gouvernements.

D. — Le pouvoir social constitué en principat, approprié par une dynastie ou exploité par une caste, que deviennent ses rapports avec la nation ?

R. — Ces rapports sont complètement intervertis. Dans l’ordre naturel, le pouvoir naît de la société, il est la résultante de toutes les forces particulières groupées pour le travail, la défense et la Justice. D’après la conception empirique suggérée par l’aliénation du pouvoir, c’est la société au contraire qui naît de lui ; il en est le générateur, le créateur, l’auteur ; il est supérieur à elle : en sorte que le prince, de simple agent