Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 1.djvu/506

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D. — Ainsi conditionné, le pouvoir est donc sans objet ?

R. — Non pas : l’objet du pouvoir est précisément alors de maintenir ce système de contradictions, en augmentant toujours, par l’exploitation du dedans et le pillage du dehors, la liste civile du prince et le revenu des grands.

D. — Donnez la synonymie du pouvoir.

R. — La constitution artificielle du pouvoir en ayant altéré la notion, la langue devait s’en ressentir : ici, comme partout, les mots sont la clef de l’histoire.

Considéré comme apanage du prince, comme son établissement, sa profession, son métier, le pouvoir social a été dit l’État. Comme les gens du peuple, le roi dit : mon État, ou mes États, pour mon domaine, mon établissement. — La Révolution, transportant du prince au pays la propriété du pouvoir, a conservé ce mot, synonyme aujourd’hui de res publica, république.

En tant que le personnel du pouvoir est censé régir la nation et présider à ses destinées, on donne à ce personnel et au pouvoir lui-même le nom de gouvernement, expression aussi fausse qu’elle est ambitieuse. En principe, la société est ingouvernable ; elle n’obéit qu’à Justice, à peine de mort. En fait, les soi-disant gouvernements, libéraux et absolus, avec leur arsenal de lois, de décrets, d’édits, de statuts, de plébiscites, de règlements, d’ordonnances, n’ont jamais gouverné qui ou quoi que ce fût. Vivant d’une vie tout instinctive, agissant, au gré de nécessités invincibles, sous la pression de préjugés et de circonstances qu’ils ne comprennent point, le plus souvent se laissant aller au courant de la société qui de temps à autre les brise, ils ne peuvent guère, par leur initiative, faire autre chose que du désordre. Et la preuve, c’est que tous finissent misérablement.

Enfin si l’on considère dans le pouvoir cette éminente dignité qui le rend supérieur à tout individu, à toute collectivité, on le nomme souverain : expression dangereuse, dont il est à souhaiter que la démocratie se préserve à l’avenir. Quelle que soit la puissance de l’être collectif, elle ne constitue pas pour cela, au regard du citoyen, une souveraineté : autant vaudrait presque dire qu’une machine dans laquelle tournent