Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 2.djvu/117

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prendre les dragées d’Épicure, un plus petit nombre encore pourrait digérer les pilules transcendantales de Zénon ; la besace de Diogène est accessible à tout le monde.

La plèbe césarienne, quatre à cinq cent mille lazzaroni partageant l’empire avec César, nourrie par la frumentation, c’est-à-dire à peu près pour rien, baignée pour rien, contente de sa gueuserie, prend le parti héroïque de mépriser cordialement une existence dont elle a perdu, en se donnant à César, le sentiment, la dignité, l’exercice, l’objet, la signification.

Pour se fortifier contre la mort, elle s’habitue à ne faire nul cas de la vie : chose facile, sous le gouvernement de César. La vie, en effet, pour cette multitude, est devenue un non-sens. Au lieu de la plénitude des jours, qui faisait la félicité des anciens, on a le spleen. Si donc ce n’est plus rien de vivre, dans cette société en poussière, comment serait-ce quelque chose de mourir ? Écoutez le cri du prétorien à Néron fugitif, tremblant devant la mort : Usque adeone mori miserum est ? Ton règne est fini, meurs donc : cela est-il si difficile ?

Analysez le caractère du peuple romain des derniers temps de la république et de ceux de l’empire : au fond, vous ne trouvez que le cynisme ; c’est le cynisme, dans la majesté du Capitole, qui fait le tempérament du peuple-roi, la vie morale de Rome, le génie de César.

Or, quand le peuple se mêle de quelque chose, philosophie ou religion, amour de Dieu ou mépris de la vie, il arrive à des conceptions fantastiques, il crée des géants et des monstres. Les fils de la louve, prenant la besace, et se mettant en tête de combattre la mort et ses terreurs, devaient accoucher d’une idée horrible, qui ferait frémir l’histoire.

Le suicide n’avait plus rien de neuf ; depuis longtemps on avait appris, par de nobles exemples, à l’honorer ; on