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J’étais absent, pour le service…. de la famille. Son plus jeune fils, prenant mal la cause de son émotion, lui dit : Allons, père, chasse ces tristes idées. Pourquoi te désespérer ? N’es-tu pas un homme ? Ton heure n’a pas encore sonné.

— Tu te trompes, réplique le vieillard, si tu t’imagines que j’aie peur de la mort. Je te dis que c’est fini ; je le sens, et j’ai voulu mourir au milieu de vous. Allons, qu’on serve le café !… Il en goûte quelques cuillerées. — J’ai eu bien du mal dans ma vie, dit-il ; je n’ai pas réussi dans mes entreprises (l’innocent !) ; mais je vous ai aimés tous, et je meurs sans reproche. Dis à ton frère que je regrette de vous laisser si pauvres ; mais qu’il persévère…

Un parent de la famille, quelque peu dévot, croit devoir reconforter le malade, en disant, comme le catéchisme, que tout ne finit pas à la mort ; que c’est alors qu’il faut rendre compte, mais que la miséricorde de Dieu est grande…. Cousin Gaspard, répond mon père, je ne sais pas ce qu’il en est, et je n’y pense aucunement. Je n’éprouve ni crainte ni désir ; je meurs entouré de ce que j’aime, j’ai mon paradis dans mon cœur.

Vers dix heures il s’endormit, murmurant un dernier bonsoir, l’amitié, la bonne conscience, l’espérance d’une destinée meilleure pour ceux qu’il laissait, tout se réunissant en lui pour donner un calme parfait à ses derniers moments. Le lendemain mon frère m’écrivait avec transport : Notre père est mort en brave !… Les prêtres ne le canoniseront pas ; mais moi qui l’ai connu je le proclame à mon tour un brave, et ne souhaite pas pour moi-même d’autre oraison funèbre.

LVI

Comparez cette mort avec celle du chrétien, entouré de cierges, de crucifix, d’eau bénite ; à qui le confesseur