Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 2.djvu/184

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« J’ai demandé quelle espèce d’instruction morale et religieuse recevaient les nègres de la colonie, et j’ai appris que cette instruction était nulle. — On les baptise, m’a-t-on répondu ; on les marie, s’ils le désirent. À leur mort, on va quelquefois chercher M. le curé pour les confesser ; mais il demeure assez loin, et nous n’aimons pas à le déranger… Mais ni catéchisme ni prédication pour les noirs ; nul moyen que la notion du bien et du mal parvienne à leur intelligence : ils sont exclus de toute idée morale. » (J.-J. Ampère, Promenade en Amérique, art. de la Revue des Deux-Mondes, 15 juillet 1853.)

Ainsi en usait le paganisme, ainsi en use le christianisme : toutes les religions se ressemblent. Une loi de la Révolution dit que tout esclave qui met le pied sur le territoire de la république, par le fait est libre. Dans l’Église, au contraire, le curé baptise l’esclave, marie l’esclave, donne l’extrême-onction à l’esclave ; et ni le baptême, ni le mariage, ni l’extrême-onction, n’affranchit l’esclave. Le sacrement n’a rien de commun avec la liberté. C’est une marque que le prêtre imprime sur le corps du chrétien, comme celle que les éleveurs font sur le dos de leurs moutons ; signe de la propriété ecclésiastique, nullement de l’égalité et de la liberté des personnes.

Cependant l’exclusion de la morale parut bientôt, par son absurdité et ses conséquences, d’une pratique dangereuse. On a beau faire, l’homme se retrouve toujours dans l’esclave : lui dénier toute espèce de droit, c’est le pousser à la vengeance. Dans l’intérêt de l’exploitation servile, et pour la sécurité des maîtres, il fallut donc aviser au moyen de faire servir le culte à la consolidation de la servitude : c’est à quoi la religion se prêta avec une complaisance et une facilité merveilleuses. Il y eut des dieux et des sacrifices pour les esclaves, des saturnales pour leur rappeler l’égalité de l’âge d’or ; il y eut même, ce