Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 2.djvu/245

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je demande pourquoi la vie entière du travailleur ne serait pas une réjouissance perpétuelle, une procession triomphale ?

Ce n’est plus ici cet attrait passionnel qui devait, selon Fourier, jaillir, comme un feu d’artifice, du milieu des séries de groupes contrastés, des intrigues de la cabaliste et des évolutions de la papillonne.

C’est une volupté intime, à laquelle le recueillement de la solitude n’est pas moins favorable que les excitations de l’atelier, et qui résulte pour l’homme de travail du plein exercice de ses facultés : force du corps, adresse des mains, prestesse de l’esprit, puissance de l’idée, orgueil de l’âme par le sentiment de la difficulté vaincue, de la nature asservie, de la science acquise, de l’indépendance assurée ; communion avec le genre humain par le souvenir des anciennes luttes, la solidarité de l’œuvre et la participation du bien-être.

Le travailleur, dans ces conditions, quelque lien qui le rattache à la création, quels que soient ses rapports avec ses semblables, jouit de la plus haute prérogative dont un être puisse s’enorgueillir : il existe par lui-même. Rien de commun entre lui et la multitude des bêtes, consommant sans produire, fruges consumere natæ. Il ne reçoit rien de la nature qu’il ne le métamorphose ; en l’exploitant, il la purge, la féconde, l’embellit ; il lui rend plus qu’il ne lui emprunte. Fût-il enlevé du milieu de ses frères, transporté avec sa femme et ses enfants dans la solitude, il retrouverait en soi les éléments de toute richesse, et reformerait à l’instant une nouvelle humanité.

Pourquoi, dès lors, le travail, développé et entretenu selon les principes de la genèse industrielle, remplissant toutes les conditions de variété, de salubrité, d’intelligence, d’art, de dignité, de passion, de légitime bénéfice, qui tient de son essence, ne deviendrait-il pas, même au