Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 2.djvu/29

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dont la dispensation constitue la spécialité propre de l’Église.

Eh bien ! cette doctrine injurieuse, commune à toutes les religions jusqu’au déisme inclusivement, qui fait de l’homme un sujet incapable à priori de penser ses modes, de les vouloir, de les produire, d’y rester fidèle, un sujet réfractaire à sa propre essence ; cette contradiction psychologique, peut-être ma raison, accablée du déluge de crimes qui couvre la terre, n’y eût-elle pas répugné, si du moins il était vrai qu’elle apportât à la tyrannie du péché quelque allégement. Mais voilà précisément ce que je nie : je soutiens que, si par nature nous sommes vicieux et pervers, la religion, par sa méthode de justification, nous rend pires.

VIII

Reportons-nous par la pensée à ces sociétés naissantes, où les mœurs se dessinent à peine, où la conscience se cherche encore. Un homme paraît, poëte, devin, sacrificateur, maître de cérémonies. Il offre au vulgaire étonné, vis-à-vis des puissances surnaturelles, sa médiation officieuse. D’abord, il s’empare des imaginations par des formes imposantes : ou le voit se prosterner, se relever, invoquer le ciel, comme s’il parlait à un personnage visible pour lui seul. Il commande la soumission par la terreur, il capte la confiance par le mystère. Puis, et c’est ici la partie décisive, durable, de son ministère, il s’attache à créer dans la masse des habitudes de piété, à mouler les volontés et les intelligences au moyen de symboles et de rites destinés à rappeler sans cesse au peuple, non la loi morale, que lui-même, prêtre du Très-Haut, ne connaît guère plus que ceux au nom desquels il officie, mais le Sujet transcendantal de haute moralité et de toute loi. — Mettons-nous en présence de Dieu, dit le prêtre, Introïbo ad altare Dei : c’est le résumé de toute la religion