Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 2.djvu/295

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est indéfectible. Une fois là, plus de difficulté : l’Église sacre les rois, la multitude délègue ses pouvoirs ou bêle ses volontés ; et le monde va de lui-même, tiré par un fil invisible.

La conclusion est connue. Plus de deux siècles après Bacon, quand les sciences physiques nous donnent la vapeur, les chemins de fer, la télégraphie électrique, tant d’inventions si neuves, si belles, si utiles, si merveilleuses, la société européenne sent sa conscience défaillir, la France perd sa liberté avec ses mœurs, et l’on se demande avec M. Babinet : Comment est morte cette philosophie qui fit marcher le dix-huitième siècle et produisit la Révolution ? Quomodò cecidit potens qui salvum faciebat populum Israël ?

Qui nous délivrera des entités métaphysiques, des idées innées et du logos, de l’immortalité de l’âme et de l’Être suprême ? Qui nous débarrassera de l’adoration et de l’autorité ? Car, le fait est visible à tous regards, telle est la source de notre affliction, et notre décadence n’a pas d’autre cause. La méthode, la morale des idées, si je puis m’exprimer de la sorte, existe ; la physique, toutes les sciences naturelles et positives, nous en montrent les fruits. Et maintenant qu’il s’agit de nous-mêmes, nous ne savons plus philosopher, nous revenons à notre vomissement. À force de considérer ce qui est au-dessus de nous, l’en soi de notre âme, de notre raison, de notre conscience, nous n’apercevons plus ce qui est en nous, je veux dire la phénoménalité de notre moi, la seule chose de ce moi qu’il nous soit permis de connaître. Au lieu de nous élever graduellement, par l’observation, à la Justice, nous plongeons de plus en plus, tête baissée, dans l’absolu. La confusion des idées amenant à sa suite la subversion des mœurs, nous sommes punis par la dégradation de nos cœurs des hallucinations de notre