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et autre chose l’incarnation qui la rend manifeste : celle-ci variable à l’infini, selon la fantaisie et la préoccupation d’esprit de l’adorateur ; celle-là, une au fond, la même pour tous les hommes, adéquate au moi du genre humain ; toutes deux d’ailleurs inséparables, comme la vie et le mouvement, comme la chair et l’esprit, comme l’amour et la mort.

L’Église, qui a tant calomnié l’idolâtrie, et qui n’en a pas moins pris pour idole le crucifix, doit le savoir mieux que personne : le sujet transcendantal de la Justice, Dieu en un mot, sous quelque figure que la poésie, la théologie ou l’art le représentent, ne peut pas être pris parmi les existences visibles, toujours imparfaites et viciées. Ce sujet est nécessairement une idéalité, un absolu, le plus élevé que puisse concevoir le croyant, eu égard à sa position et à la somme de connaissances dont il dispose. Ce n’est pas le fils de Marie que le chrétien adore, c’est l’essence divine, unie à la personne de Jésus : semblable en cela au fétichiste, qui, malgré l’obscurité de ses idées et l’imperfection de son langage, a nécessairement dans l’esprit autre chose que son fétiche.

Cette tendance de l’esprit humain à transformer, sous la pression de l’absolu, sa notion de Justice en essence divine, puis à donner à cette essence une réalisation phénoménale, est tellement puissante, que non-seulement nous la retrouvons chez tous les peuples, mais qu’elle se reproduit chez les penseurs les plus éloignés de toute superstition.

Le bon sens dit à Aug. Comte que la Justice est un sentiment autre que l’égoïsme ; que la loi morale ne peut pas avoir son principe dans l’intérêt bien entendu, ni dans aucune spéculation de l’intelligence ; qu’autre chose est le rapport reconnu par l’analyse, et autre chose l’obligation de conscience d’obéir, coûte que coûte, à ce rapport.