Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 2.djvu/39

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ressentiments vaincus, de doutes évanouis, par la récitation de cette prière, plus accessible aux cœurs qu’aux intelligences ! Quand le pauvre, avili, menteur, fainéant, nous aborde, la prière sur les lèvres, telle est la grâce de cette parole vraiment évangélique, que nous nous sentons portés, malgré nous, à l’aumône. Pater noster !… Hélas ! à l’exception de quelques privilégiés de la science, c’est tout ce que le peuple sait de ses droits et de ses devoirs. Après le Décalogue et l’Oraison Dominicale, néant. Trente-quatre lignes en trente-quatre siècles ! Dites-moi donc, Monseigneur, à quoi servent les sacerdoces ?

Prise au sens littéral, comme fait l’Église, l’Oraison Dominicale n’est qu’un tissu d’idées niaises, contradictoires, immorales même et impies. On peut en extraire une douzaine d’hérésies, condamnées par le saint-siége ; et c’est peut-être en s’appuyant sur le Pater, entendu à la manière des prêtres, que Jérôme Lalande conclut que son auteur était athée.

Mais pénétrez sous la lettre, toujours absurde quand il s’agit de prière, et cette même oraison va vous paraître d’une morale et d’une rationalité incomparables.

Père ! — Père de qui, père de quoi ? Le Dieu chrétien engendre-t-il à la manière de Jupiter, qu’Homère appelle à si bon droit père des hommes et des dieux ? Cette interprétation ne saurait s’admettre. Faut-il prendre la chose au sens psychique, et dire que l’âme, émanation de la divinité, affirme ici son origine céleste ? Mais la génération des âmes par le Très-Haut ne se comprend pas plus, ne paraît pas mieux fondée que celle des corps ; d’ailleurs, la théorie de l’émanation a été condamnée par l’Église, et je ne crois pas que la philosophie songe à la remettre en honneur. Dira-t-on que Père a ici le sens de Créateur ? L’idée, en effet, est orthodoxe ; mais nul doute que l’âme religieuse, en parlant à son Père, n’entende que ce