Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 2.djvu/434

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morale que devait suivre bientôt la dissolution matérielle ? Or, la vertu n’est autre chose que l’énergie avec laquelle le sujet tend à réaliser sa loi (déf. 3) ; d’où suit, comme l’enseigne le dogme chrétien, que, l’attrait de Justice, qui seul produit la vertu, se trouvant trop faible, l’homme est au-dessous de sa destinée, ce qui est contradictoire.

Accuser de ce manque de vertu les institutions, la tyrannie des grands, l’indignité de la multitude, la corruption du prêtre, c’est prendre les symptômes de la maladie pour la cause. Comment la tyrannie a-t-elle pris naissance, comment plus tard a-t-elle été soufferte, sinon par la complicité de la masse ? Comment l’homme, que la nature, suivant nous, a créé digne, tombe-t-il ensuite dans l’indignité ? L’animal est fidèle à son instinct : d’où vient que l’homme seul trompe son propre cœur, qu’il se montre lâche, immoral, et, malgré le vœu de son âme, insocial ?

En deux mots, si, comme la prévalence du péché induit à le croire, la Justice est inefficace, la Justice est une chimère ; elle n’est pas de l’humanité, et il ne nous reste qu’à ployer les genoux. Telle est l’objection.

Je laisse de côté l’opinion de quelques théologiens mitigés, qui m’accuseront peut-être d’avoir forcé le sens du christianisme, et pensent que l’homme déchu est encore doué de quelque capacité pour le bien, soutenant seulement que cette capacité eût été incomparablement plus grande sans le péché originel.

Ces théologiens de juste milieu, en croyant sauver leur foi des dangers du rigorisme, ne s’aperçoivent pas qu’ils la livrent. Si peu que vous accordiez d’efficacité propre à la conscience, elle n’a plus besoin de grâce supplémentaire ; l’homme peut marcher seul, et la religion devient inutile. Car, de même que ce n’est pas tant par la force physique que l’ouvrier triomphe de la fatalité du travail,