Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 2.djvu/481

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Vous dites, fait observer Spinoza à Descartes, qu’en Dieu l’agir précède nécessairement le penser, qu’il répugne que le souverain Être ait été déterminé à la création par une idée quelconque du bien et du vrai. Je le pense comme vous. Mais alors à quoi bon l’intelligence en Dieu ? Lui prêter un entendement, c’est le faire à l’image de l’homme : vous devez rejeter cet anthropomorphisme. Par la même raison, à quoi bon une volonté ? Autant vaudrait prendre au pied de la lettre ce qui est dit dans l’Écriture, que Dieu se fâche, qu’ensuite il se repent, qu’il a des pieds, des mains, un visage, un derrière ; qu’il renifle la fumée des sacrifices, etc. Quant aux prophéties et aux miracles, par lesquels Dieu, créateur et ordonnateur du monde, se met en communication avec l’homme, atteste sa puissance, et fait acte de liberté, Spinoza les récuse, de manière que la liberté de Dieu, demeurant sans exercice, n’a plus même un prétexte d’existence.

Deux choses seulement, dit ce philosophe, résultent de la notion ou de l’essence de Dieu : 1o qu’il existe, c’est-à-dire qu’il est la substance unique et nécessaire ; 2o qu’il se développe en une infinité d’attributs, dont nous ne pouvons connaître que deux, l’étendue et la pensée. Comme étendue, Dieu produit les mouvements et les corps ; comme pensée, il produit les âmes. Mais il n’est lui-même ni corps ni âme, ni vie, ni entendement. Il est la substance, inaccessible aux sens, et qui produit éternellement toutes choses par son activité. Ce que vous appelez liberté en Dieu n’est donc pas autre chose que sa spontanéité infinie, spontanéité affranchie de toute détermination étrangère sans nul doute, mais qui se détermine elle-même par la nécessité de sa nature.

La liberté de Dieu, en un mot, est la nécessité même : Summa libertas, summa necessitas.

Pour établir sa théorie, Spinoza procède en façon géo-